Horse & Rider

2014

Horse and Rider, 2014 Acier inoxydable Pinault Collection

278 × 102 × 269 cm

Sculpture de l’artiste monté sur un cheval, Horse and Rider convoque la figure classique de la statuaire équestre, dans la lignée du « canon » instauré dans l’Antiquité : de la statue de l’empereur Marc-Aurèle installée sur la place du capitole à Rome. Un canon que l’on retrouve à la Renaissance à travers la représentation honorifique des condottieri (chefs de guerre), tel Gattamelata de Donatello érigé à Padoue ou Colleone d’Andrea del Verrochio, posté à Venise. Comme à son habitude, Charles Ray se sert du plus proche de ses modèles, le plus facile à convoquer : lui-même. Paris est ponctué de ces mêmes groupes sculptés représentant saints et rois à cheval : Louis XIV par François Joseph Bosio sur la place des Victoires toute proche ; Louis XIV par Le Bernin dans la cour Napoléon au musée du Louvre ; Henri IV par François-Frédéric Lenot dressé au mitan du Pont-Neuf ; et Jeanne d’Arc par Emmanuel Frémiet de la rue Castiglione, pour n’en citer que quelques-unes. Comme pour subvertir cette statuaire de pouvoir et de magnificence, Horse and Rider en inverse tous les codes, égratignant au passage le manifeste d’assurance et de virilité habituellement convoqué par le genre. En lieu et place d’une figure altière, en majesté et en mouvement, la figure de l’artiste, assis et voûté sur sa monture à l’arrêt, semble en but à l’impuissance : « Je ne suis pas un cavalier, et le cheval le sait. J’ai tenté de sculpter ma nervosité ainsi que celle du cheval » (extrait du catalogue publié par le Kunstmuseum de Bâle, 2014). Et pour cause : l’artiste n’a pas sculpté les rênes qui permettent au cavalier de diriger sa monture. Cette image en appelle une autre, celle d’un possible autoportrait d’artiste, pictural celui-là, le portrait en Gilles, peint par Antoine Watteau, amuseur désenchanté. 


Horse and Rider ne commémore aucune bataille, pas plus qu’elle ne met en valeur son modèle. Il s’agit comme souvent pour l’artiste d’interroger un « type » de l’histoire de la sculpture afin de mieux témoigner de sa valeur plastique à travers le temps : « Je vois les grandes sculptures archaïques ou classiques comme contemporaines. Elles marchent trop bien pour se voir mises au rancart ou être dépassées, quelle que soit la destination initiale de l’œuvre. » Horse and Rider, posée à même le sol – et non sur un piédestal, interagit directement avec l’espace du regardeur, avec le public, avec la ville. 


Enfin, l’œuvre a trait autant à l’histoire personnelle de l’artiste, qui a passé son adolescence dans un lycée militaire particulièrement strict, qu’à celle de l’Amérique, que ce soit par les groupes sculptés patriotiques, les films de Hollywood, le Far West et sa figure mythique – le cow-boy à cheval, jusqu’aux figurines pour enfants. C’est une insondable iconographie que convoque l’homme sur son cheval, densité historique à laquelle l’artiste répond par le poids même de l’œuvre, près de dix tonnes. Solidement encastrée dans l’espace, fermement incrustée dans de multiples traditions de la représentation, la statue équestre ouvre ici un nouveau chapitre de son histoire, où la superbe laisse place à l’antihéros, au Don Quichotte moderne.


« Mes sculptures font cercle au deuxième étage et, devant la Bourse, on trouve un autre portrait de l’artiste, moi-même, avachi sur une selle de western, posée sur une monture tout aussi éreintée. Nous sommes tous deux épuisés, mais au lieu d’être pris dans les nuages sur un imposant piédestal de pierre, nous sommes au ras du sol, de plain-pied avec les passants. […] Plutôt que de rester superficielle, la patine de la ville aura pénétré sa surface. Parisiens, soyez patients. »
Charles Ray
Extrait de l’essai « Vingt-six tonnes » dans le catalogue de l’exposition

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