Time No Longer

2012

Images de synthèse, son à cinq canaux, lumières dynamiques.

13 minutes

Time No Longer (2021) est une vidéo sans action ni personnage. Elle montre une platine-disque, diffusant une entêtante musique. Il s’agit de Quatuor pour la fin du temps, composé en 1941 par Olivier Messiaen (1908-1992), dont Anri Sala n’a gardé pour l’essentiel que le solo de clarinette (arrangé par André Vida et Olivier Goinard), intitulé « Abîme des Oiseaux ». Catapultée dans l’espace, dans l’apesanteur d’une station spatiale reproduite en images de synthèse, la platine tourne sur elle-même au gré de forces cosmiques invisibles. Son bras se lève pour retomber de façon aléatoire sur le vinyle, donnant à entendre la composition de façon fragmentaire, en une suite de phrases musicales hachées, tronquées, inachevées.


Le morceau choisi est un solo de clarinette qui évoque les anges de l’Apocalypse, annonçant la fin des temps. Messiaen composa cette pièce pour Henri Akoka, grand clarinettiste français, juif algérien, avec qui il fut détenu par les nazis, au Stalag VIII-A. Akoka joua ce solo pour la première et dernière fois, le 15 janvier 1941, devant des gardiens de prison et quelques prisonniers. Dans la vidéo, le son de la clarinette s’alterne, puis se mêle, avec le chant mélancolique d’un saxophone. L’œuvre est aussi une élégie à Ronald McNair, astronaute africain américain et saxophoniste : premier musicien à projeter d’enregistrer dans l’espace, il fut victime de l’explosion de la navette spatiale américaine Challenger, détruite lors de son lancement en 1986, 73 secondes après son décollage.


Deux fantômes se répondent ici. Spectrale, la musique de McNair s’harmonise avec la clarinette d’Akoka dans une cabine spatiale sans occupants. Cette rencontre fugace, entre une musique qui a existé par-delà l’horreur et une autre qui brave la frontière de l’au-delà, fait coexister plusieurs types de solitude : celle de la prison, celle du vide cosmique, celle de la mort. Elle laisse advenir une étrange utopie. Ce décor, déserté de toute présence humaine, de toute vie, suggère un futur postapocalyptique où l’homme n’est plus, ou seule résonne le fantôme de son souvenir, à travers la mélodie d’une musique sans auditoire. Le film débute et se termine par la lumière éthérée du soleil affleurant à la surface du globe. Crépuscule planétaire ou aube d’un jour nouveau ?


Pour Messiaen, ce morceau de partition dédié aux oiseaux était un moyen de combattre le désespoir, précisément contre les affres du temps : « L’abîme, c’est le Temps, avec ses tristesses, ses lassitudes. Les oiseaux, c’est le contraire du Temps ; c’est notre désir de lumière, d’étoiles, d’arcs-en-ciel et de jubilantes vocalises ! » disait le compositeur.