Sous le commissariat de
Emma Lavigne
Alexandra Bordes
Les 17 et 18 septembre 2022, l'exposition « Edith Dekyndt. Aria of Inertia » est présentée par la Collection Pinault, à l'occasion des Journées européennes du patrimoine.
La force de l’œuvre d’Edith Dekyndt se nourrit de la conviction que tout objet est un organisme vivant qui interfère et résonne avec l’environnement qui l’accueille. L’artiste reconsidère sans arrêt la place de l’humain et sa relation à son environnement. Réarticulant ce qui a été séparé – l’apparence et la réalité, la subjectivité et la nature, l’inerte et le vivant – l’œuvre d’Edith Dekyndt invite à repenser nos attentes, nos habitudes, à nous dessiller.
Intitulée « Aria of Inertia », l’exposition nous met en présence de la puissance d’être au monde, même dans les moindres manifestations du vivant. Toutes les œuvres présentées ici, qu’elles soient monumentales ou plus intimes, soulignent cette vitalité. Elle entre en correspondance avec le thème des Journées du Patrimoine 2022, « Patrimoine durable ».
La première œuvre qui trouble le visiteur entrant s’intitule Visitation Zone (2020), un ensemble de vivariums et d’aquariums provenant du zoo de Riga, présentée initialement lors de la biennale qui s’est déroulée dans la capitale lettone. Visitation Zone s’installe cette fois dans la Chapelle de Laennec et réactive les thèmes chers à l’artiste : décomposition, disparition, l’interaction. Figures de la préservation et forme récurrente dans le travail de l’artiste, les aquariums et vivariums désormais vides laissent voir la trace passée des animaux qui les occupaient (taches, poussières, rayures, fissures, salissures…). Cet ensemble sculptural fantomatique est associé à une chorégraphie : une femme se meut lentement, dans une gestuelle banale (déplacement, nettoyage) et attentive à l’espace environnant que structurent les contenants vitrés. Ces gestes de la vie domestique, souvent accomplis par les femmes, et généralement effectué, loin des regards, avant l’ouverture au public, aux clients, aux visiteurs, mettent en évidence une alliance ambiguë qui se nimbe d’une mystérieuse spiritualité. À travers cette œuvre, l’histoire de Laennec, les soins prodigués aux incurables, leur vie monastique, résonnent à nouveau dans cette chapelle.
À proximité, Edith Dekyndt continue l’exploration de ses matériaux de prédilection : « la lumière, l’eau ou les étoffes qui ont la propriété de bouger, de se transformer ou même de disparaître tout à fait ». Comme Visitation Zone, ils se font vecteurs de cette force d’inertie qui fait foyer, de cette appropriation équivoque qui agit à rebours de la domestication, dissipe les clivages et défait les autorités.
Dans un jeu de lumière entre les vivariums laissés au sol et les vitraux de l’ancienne église, un tissu en velours dont la couleur se fond avec les murs de la chapelle rappelle l’attachement de l’artiste à ces industries textiles du Nord, celles des délicates broderies qu’elle complexifie en utilisant des brisures de verre. Ce qui a été fracturé est réparé, recomposé. De ces deux matériaux des plus communs – tissu et verre –, Edith Dekyndt nous donne à voir des images et des moments sublimés, tous issus de processus physiques naturels qui font se mouvoir les effets et les métamorphoser à l’infini.
Dans le prolongement de l’allée centrale, devant l’autel et sur près de sept mètres de hauteur se déroule un tissu constitué de bandes bleues et blanches. Cette étoffe a été ensevelie au contact direct de la terre pendant plusieurs mois : minéraux, racines, bactéries et insectes s’y sont fichés, en créant des transparences à certains endroits, des reliefs à d’autres. Certaines parties du tissu n’ont été que légèrement lésées, tandis que d’autres sont complètement détruites. Aujourd’hui déroulée depuis le plafond, comme une extension terrestre de celui-ci, à la fois fantomatique et profondément ancrée dans sa matérialité, cette œuvre précipite les visiteurs dans « une dimension fabuleuse où les choses inanimées prennent vie ».